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Conseil d'État, 321225 : Différence entre versions

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Conseil d'État, 321225
Conseil d’État
11 juillet 2011


section – Mme A… c/ Commune de Guécélard – 321225


M. Mattias Guyomar, rapporteur public



Décision

Visas

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 1er octobre 2008 et le 22 juin 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour Mme B… A…, demeurant…,; Mme A…d emande au Conseil d’État :

1°) d’annuler l’arrêt n°s 07NT02298 et 07NT02540 du 13 juin 2008 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté ses requêtes dirigées contre les jugements du 21 juin 2007 par lesquels le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes tendant, pour l’une, à la condamnation de la commune de Guécélard (Sarthe) à lui verser la somme de 120 000 euros en réparation du préjudice qu’elle a subi du fait du harcèlement moral dont elle a été victime de la part de sa hiérarchie, et pour l’autre, à l’annulation de l’arrêté du 2 juin 2004 par lequel le maire de cette commune a prononcé à son encontre la sanction de l’exclusion de ses fonctions pour une durée de trois jours, ainsi que la décision du 28 septembre 2004 par laquelle la même autorité a rejeté son recours gracieux ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa requête ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Guécélard le versement de la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive n° 2000-78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, modifiée notamment par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Motifs

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A… a été recrutée à compter du 1er septembre 1989 en qualité d’adjoint administratif par la commune de Guécélard (Sarthe) ; que par un arrêté du 2 juin 2004, le maire de la commune a prononcé à l’encontre de l’intéressée une sanction d’exclusion temporaire de trois jours de ses fonctions, fondée sur plusieurs griefs relatifs à son comportement ; que, par une lettre du 2 décembre 2005, Mme A…a demandé à la commune d’être indemnisée à hauteur de 120 000 euros à raison du harcèlement moral dont elle estimait avoir été victime de la part de la nouvelle secrétaire générale de la mairie; que, par deux jugements du 21 juin 2007, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes tendant, d’une part, à l’annulation de l’arrêté du 2 juin 2004 et de la décision du maire de Guécélard en date du 28 septembre 2004 rejetant son recours gracieux formé contre cette décision et, d’autre part, à la condamnation de la commune à lui verser la somme qu’elle demande en réparation du préjudice qu’elle allègue ; que l’intéressée se pourvoit contre l’arrêt du 13 juin 2008 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté son appel dirigé contre ces jugements ;

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêté municipal du 2 juin 2004 :

Considérant que, pour rejeter les conclusions tendant à l’annulation de la sanction d’exclusion temporaire de trois jours prononcée à l’encontre de Mme A…le 2 juin 2004, la cour administrative a relevé que cette sanction était motivée par « l’insolence, l’agressivité verbale, la provocation, le manque de respect envers les élus et ses collègues » de Mme A… et qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que cette attitude, déjà relevée à l’encontre de l’intéressée au cours des années antérieures, ait été provoquée par les faits de harcèlement moral invoqués par elle ; que si Mme A… soutient qu’aucun grief ne peut lui être reproché avant l’entrée en fonction de la nouvelle secrétaire générale de la mairie et que ses excès de caractère n’étaient perceptibles qu’en présence de celle-ci et en réaction à son propre comportement, l’appréciation que les juges du fond ont portée sur les faits de l’espèce n’est pas, en l’absence de dénaturation, susceptible d’être discutée devant le juge de cassation ; qu’au regard des faits qu’elle a ainsi souverainement appréciés, la cour n’a pas commis d’erreur de qualification juridique en jugeant que Mme A… avait commis une faute de nature à justifier la mesure contestée ;

Sur les conclusions indemnitaires de Mme A… :

Considérant qu’aux termes de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : « Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés. / Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (…) » ; que ces dispositions ont procédé à la transposition pour la fonction publique des dispositions relatives à la lutte contre le harcèlement de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ;

Considérant, d’une part, qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile ;

Considérant, d’autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral ; qu’en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé ;

Considérant que la cour administrative d’appel de Nantes a relevé que, dans l’exercice de ses fonctions au service de la commune de Guécélard, Mme A… a connu, à compter de l’année 1999 et de l’entrée en fonctions d’une nouvelle secrétaire générale, une dégradation importante de ses conditions de travail se caractérisant, de la part de son supérieur hiérarchique, par une attitude de dénigrement systématique et une réduction non négligeable de ses attributions antérieures, que l’intéressée, qui suit un traitement médical depuis l’année 2000, a été placée en congé de longue maladie à compter du 28 septembre 2005 en raison de son état dépressif et qu’aucune mesure autre qu’une vaine tentative de médiation n’a été prise par le maire de la commune ; que la cour en a déduit que cette situation révélait, dans les circonstances de l’espèce, des agissements constituant un harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 et présentant ainsi le caractère d’une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ; que, dès lors, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’en relevant ensuite qu’en raison de son comportement, l’intéressée avait largement contribué à la dégradation des conditions de travail dont elle se plaint et que ce comportement était de nature à exonérer la commune de sa responsabilité, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit ; que Mme A…est fondée à demander dans cette mesure l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce de faire application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les relations de travail au sein des services de la commune de Guécélard ont été affectées par des tensions et des conflits persistants entre les membres du personnel et la secrétaire générale de la mairie qui a pris ses fonctions en 1999 ; que les éléments de fait produits par Mme A…sont susceptibles de faire présumer l’existence d’agissements constitutifs d’un harcèlement moral à son encontre ; que cependant le comportement de la secrétaire générale ne peut être apprécié sans tenir compte de l’attitude de Mme A… ; qu’ainsi que l’établit la commune, l’attitude de cette dernière se caractérisait par des difficultés relationnelles avec ses collègues et avec les élus, des refus d’obéissance aux instructions qui lui étaient données et une attitude agressive, qui a par ailleurs valu à l’intéressée la sanction prononcée à son encontre par l’arrêté municipal du 2 juin 2004 ; que, dans ces conditions, c’est à tort que les premiers juges ont estimé que les agissements de la secrétaire générale vis-à-vis de Mme A… ont excédé les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique au point de pouvoir être qualifiés de harcèlement moral ; que la circonstance qu’une plainte pour harcèlement moral ait été déposée à l’encontre de la secrétaire générale par le maire de la commune ne suffit pas à caractériser l’existence d’agissements revêtant cette nature ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’en l’absence d’agissements constitutifs de harcèlement moral imputables à la secrétaire générale et, par suite, de faute de service de la commune à avoir laissé de tels agissements se perpétrer sans prendre les mesures adéquates pour les faire cesser, Mme A…n’est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Guécélard la somme de 3 000 euros que Mme A… demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A…le versement de la somme que la commune de Guécélard demande devant la cour administrative d’appel et devant le Conseil d’État au titre des mêmes dispositions ;

DÉCIDE

Article 1er : L’arrêt du 13 juin 2008 de la cour administrative d’appel de Nantes est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A….

Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme A… est rejeté.

Article 3 : Les conclusions indemnitaires présentées par Mme A… devant la cour administrative d’appel de Nantes sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Guécélard devant la cour administrative d’appel et devant le Conseil d’État au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B…A… et à la commune de Guécélard.

Copie en sera adressée pour information au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.

Résumé

FONCTION PUBLIQUE

Harcèlement moral. – Transposition d'une directive européenne. – Les dispositions de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ont procédé à la transposition pour la fonction publique des dispositions relatives à la lutte contre le harcèlement de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

Harcèlement moral. – Charge de la preuve. – Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

Harcèlement moral. – Notions générales. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé.


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