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Conseil d'État - 284208
Conseil d’État
24 novembre 2006


284208 - Mme Ermesinda A


Conclusion M. Struillou, c. du g.



Visas

  • Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 août et 31 octobre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour Mme Ermesinda A, demeurant … ; Mme A demande au Conseil d’État :
    1. d’annuler l’arrêt du 27 septembre 2004 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement du 22 février 2000 du tribunal administratif de Paris et rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 9 juillet 1996 par laquelle l’inspecteur du travail a autorisé la société Boréale à procéder à son licenciement et de la décision du ministre confirmant cette autorisation ;
    2. statuant au fond, de rejeter l’appel formé par la société Boréale ;
    3. de mettre à la charge de la société Boréale le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
  • Vu les autres pièces du dossier ; la Constitution, notamment son Préambule ; la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; le code du travail ; le code de justice administrative ;

Motifs

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête

Considérant qu’en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des salariés qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l’inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi ; qu’à l’effet de concourir à la mise en œuvre de la protection ainsi instituée, l’article R. 436-4 du code du travail dispose que l’inspecteur du travail saisi d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé « procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d’un représentant de son syndicat » ;

Considérant que le caractère contradictoire de l’enquête menée conformément aux dispositions précitées impose à l’autorité administrative d’informer le salarié concerné, de façon suffisamment circonstanciée, des agissements qui lui sont reprochés et de l’identité des personnes qui s’en estiment victimes ;

Considérant que le caractère contradictoire de cette enquête implique en outre que le salarié protégé puisse être mis à même de prendre connaissance de l’ensemble des pièces produites par l’employeur à l’appui de sa demande, notamment des témoignages et attestations ; que toutefois, lorsque l’accès à ces témoignages et attestations serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs, l’inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que la seule circonstance que les attestations et témoignages produits par son employeur, la société Boréale, à l’appui de la demande de licenciement de Mme A, salariée protégée, étaient nominatifs, faisait obstacle à ce que ces documents soient communiqués à l’intéressée, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ; que Mme A est ainsi fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;

Considérant que la matérialité des faits de dénigrement systématique de l’entreprise et de ses dirigeants reprochés à Mme A par son employeur ressort des pièces du dossier, notamment des attestations produites par l’administration ; qu’ainsi, la société Boréale est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions attaquées au motif que la matérialité de ces faits n’était pas établie ;

Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’État, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens invoqués par Mme A devant le juge administratif ;

Sur la légalité externe

Considérant, d’une part, qu’il ressort des pièces du dossier que, compte tenu des fonctions d’encadrement exercées par Mme A, qui était chargée de l’inspection des chantiers de nettoyage confiés à l’entreprise, ainsi que des vives tensions existant au sein de celle-ci, la communication des attestations litigieuses aurait été susceptible de porter gravement préjudice à leurs auteurs, qui étaient placés sous le contrôle de la salariée protégée ; que, dès lors, dans les circonstances de l’espèce, l’inspecteur du travail a pu, sans méconnaître le caractère contradictoire de l’enquête prévue à l’article R. 436-4 du code du travail, se limiter à informer Mme A de la teneur de ces documents, sans la mettre à même d’en prendre connaissance ;

Considérant, d’autre part, que la procédure suivie par l’inspecteur du travail dans le cadre de l’examen d’une demande de licenciement ne revêt pas un caractère juridictionnel ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne saurait être utilement invoqué ;

Sur la légalité interne

Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que le comportement professionnel de Mme A, empreint de dénigrement et d’hostilité systématiques envers la nouvelle direction de la société Boréale, tant en présence d’autres salariés que de tiers, constitue une faute d’une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;

Considérant, en deuxième lieu, que, si l’inspecteur du travail s’est également fondé sur le motif tiré de la perte de confiance de la société Boréale envers Mme A, lequel ne saurait justifier légalement l’autorisation de licenciement, il résulte toutefois de l’instruction que les décisions attaquées auraient été les mêmes si leurs auteurs ne s’étaient fondés que sur le motif tiré du comportement fautif de l’intéressée ;

Considérant, en troisième et dernier lieu, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les décisions attaquées aient été en rapport avec les mandats représentatifs exercés par l’intéressée ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Boréale est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 9 juillet 1996 par laquelle l’inspecteur du travail de Paris a autorisé le licenciement de Mme A et la décision implicite née du silence gardé par le ministre chargé du travail sur le recours hiérarchique formé par l’intéressée contre cette décision ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’État, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande Mme A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mme A la somme demandée au même titre par la société Boréale ;

DECIDE

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 27 septembre 2004 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 22 février 2000 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme A devant le tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de sa requête devant le Conseil d’État sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions de la société Boréale tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Ermesinda A, à la société Boréale et au ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.