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Conseil d’État - 261305

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Conseil d’État - 261305
Conseil d’État
9 novembre 2007


Section - Fatiha A… - 261305


M. Didier Casas, commissaire du gouvernement



Visas

Vu 1°), sous le numéro 261305, la requête, enregistrée le 27 octobre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée pour Mme Fatiha A, demeurant … ; Mme A demande au Conseil d’État :

  1. de surseoir à statuer sur sa requête jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de savoir si sa fille Oumaya possède la nationalité française ;
  2. subsidiairement, d’annuler le jugement du 4 août 2003 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 16 mai 2003 du préfet de police décidant sa reconduite à la frontière et d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
  3. d’enjoindre au préfet, au besoin sous astreinte, de lui délivrer un titre de séjour vie privée et familiale ;
  4. de mettre à la charge de l’État une somme de 600 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°), sous le numéro 261354, la requête, enregistrée le 27 octobre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée pour Mme A, demeurant … ; Mme A demande au Conseil d’État :

  1. de surseoir à statuer sur la requête jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de savoir si sa fille Oumaya possède la nationalité française ;
  2. subsidiairement, d’annuler le jugement du 4 août 2003 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 16 mai 2003 du préfet de police décidant sa reconduite à la frontière et d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
  3. d’enjoindre au préfet, au besoin sous astreinte, de lui délivrer un titre de séjour vie privée et familiale ;
  4. de mettre à la charge de l’État une somme de 600 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces des dossiers ; la Constitution du 4 octobre 1958 ; la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; la convention du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides publiée par le décret n° 60-1066 du 4 octobre 1960 ; le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ; la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée ; l’ordonnance n° 58-1321 du 23 décembre 1958 ; la loi n° 91-1647 du 10 juillet 1991 ; le code justice administrative ;

Motifs

Considérant que les requêtes susvisées présentent à juger les mêmes questions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme A, de nationalité marocaine, qui s’était maintenue sur le territoire français plus d’un mois après la notification, le 7 janvier 2003, de la décision du préfet de police du 2 janvier 2003 lui refusant la délivrance d’un titre de séjour dont elle avait sollicité la délivrance sur le fondement du 3° de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 alors en vigueur et l’invitant à quitter le territoire, a fait l’objet le 16 mai 2003 d’un arrêté de reconduite à la frontière pris sur le fondement du 3° du I de l’article 22 de la même ordonnance ; que par une décision du 3 août 2004, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a reconnu la qualité d’apatride à la fille de Mme A, la jeune Oumaya, née en France en 1999 d’un père inconnu, et à laquelle avaient été refusées, d’une part, l’inscription sur les registres de l’état civil marocain, par une décision des autorités consulaires marocaines du 26 décembre 2002 et, d’autre part, la délivrance d’un certificat de nationalité française, par une décision du tribunal d’instance du XVIe arrondissement de Paris du 2 juillet 2003 ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête

Considérant qu’en vertu des stipulations des chapitres II et V de la convention du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides, les États ont l’obligation d’assurer la protection juridique et administrative des apatrides qui se trouvent sur leur territoire, notamment par la délivrance des documents d’état civil et des titres de voyages nécessaires à la vie de ces personnes ; qu’aux termes de l’article 31 de cette convention : « 1- Les États contractants n’expulseront un apatride se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public… » ; que son article 32 stipule : « Les États contractants faciliteront, dans toute la mesure du possible, l’assimilation et la naturalisation des apatrides. Ils s’efforceront notamment d’accélérer la procédure de naturalisation et de réduire, dans toute la mesure du possible, les taxes et les frais de cette procédure » ;

Considérant que le 10° de l’article 12 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 en vigueur à la date de l’arrêté attaqué, désormais codifié au 10° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, prévoit la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale à l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride, ainsi que, sous certaines conditions, à son conjoint et à ses enfants mineurs, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public ;

Considérant qu’eu égard aux obligations de protection des apatrides imposées par la convention précitée, à l’objectif d’intégration qu’elle définit et au droit au séjour particulier reconnu à la personne apatride, celle-ci ne peut légalement faire l’objet d’une mesure d’éloignement que pour des motifs de sécurité nationale ou d’ordre public ; que, sous réserve des mêmes motifs, une telle mesure ne peut davantage être prise à l’encontre des parents d’un enfant mineur reconnu apatride qui vit auprès d’eux, dès lors qu’elle aurait pour effet, soit de priver l’enfant du bénéfice des droits et garanties attachés au statut d’apatride, s’il accompagne ses parents en exécution de la mesure d’éloignement, soit de porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale de ces derniers, en méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, si l’enfant demeure en France séparé de ses parents ;

Considérant que compte tenu des effets de la protection conférée par le statut d’apatride, Mme A était en droit de se prévaloir, à la date de l’arrêté attaqué, de la qualité d’apatride de sa fille, la jeune Oumaya, qui vit auprès d’elle ; que, dès lors, pour les motifs ci-dessus énoncés, le préfet de police ne pouvait légalement prendre à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de saisir l’autorité judiciaire d’une question préjudicielle, que Mme A est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet de police décidant sa reconduite à la frontière ;

Sur les conclusions à fins d’injonction

Considérant que la présente décision implique seulement que le préfet de police examine à nouveau, au regard de ses motifs, la situation de Mme A ; que, par suite, les conclusions à fin d’injonction présentées par Mme A ne peuvent être accueillies ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991

Considérant que Mme A a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de Mme A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, de mettre à la charge de l’État le versement à celle-ci de la somme 600 euros… (Annulation du jugement du 4 août 2003 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris ; annulation de l’arrêté du 16 mai 2003 du préfet de police ordonnant la reconduite à la frontière de Mme A ; condamnation de l’État à verser à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de Mme A une somme de 600 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État à l’aide juridictionnelle.)