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Cour d'Appel de Toulouse - 07-03144

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Cour d'Appel de Toulouse - 07-03144
Cour d’appel de Toulouse
4 juillet 2008


Anonyme
4ème Chambre Section 2- Chambre sociale - Jean Bernard A… c/ SAS FONTANIE - 07/03144


 



Décision

Visas

Appelant

Monsieur Jean Bernard A… … … 82700 MONTECH

comparant en personne


Intimé

SAS FONTANIE 4 rue Colomiès- ZI de Thibaud BP 1349 31106 TOULOUSE CEDEX

représentée par Me Lionel Moatti, avocat au barreau de Marseille

Composition de la Cour

L’affaire a été débattue le 22 Mai 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :

P. de Charette, président M. P. Pellarin, conseiller M. Huyette, conseiller qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : E. Kaim-Martin


Arrêt

  • CONTRADICTOIRE
  • prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
  • signé par P. de Charette, président, et par D. Foltyn-Nidecker, greffier de chambre.

OBJET DU LITIGE

M. A… a été embauché le 3 juillet 1995 en qualité d’ingénieur technico- commercial. Il a été désigné en qualité de délégué syndical le 21 octobre 1997 puis a été secrétaire départemental Force Ouvrière puis secrétaire général du Syndicat national de l’encadrement Force Ouvrière. Il a été mis à la retraite d’office par son employeur le 3 avril 2006 après autorisation donnée par le ministre du travail le 19 décembre 2005.

M. A… a saisi le conseil de prud’hommes de demandes de dommages-intérêts pour discrimination pour motif syndical et harcèlement moral. Par jugement en date du 4 juin 2007, le conseil de prud’hommes de Toulouse a rejeté ces demandes en estimant qu’il existait pas de preuves suffisantes d’une discrimination subie par le salarié en sa qualité de délégué syndical et en retenant par ailleurs que le préjudice moral résultant de faits de harcèlement en raison du mandat syndical n’était pas établi.

Le jugement a en revanche alloué à M. A… la somme de 5 200 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de propos insultants tenus par le directeur de la SAS FONTANIE pendant une réunion du comité d’établissement le 4 juin 2000.

M. A… a régulièrement relevé appel de ce jugement. Il se présente en personne et développe oralement ses conclusions. Il indique que la SAS FONTANIE, qui appartient au groupe CLEMESSY comprenant 6 500 salariés dont 200 ingénieurs, n’a pas accepté que pour la première fois au sein du groupe un cadre soit désigné en qualité de délégué syndical. Il reprend une série de faits établissant la discrimination pour motif syndical dont il fait état et demande, au titre des rappels de salaire par rapport au salaire d’un collègue de travail la somme de 255 577 € avec régularisation des charges sociales depuis janvier 1998.

Il demande par ailleurs à titre de dommages-intérêts pour la diminution définitive de sa retraite de base, pour les intérêts légaux dus pour les retards de paiement et au titre de la discrimination et du harcèlement moral avec insultes, volonté d’humiliation, privation totale de toute mission et blocage de salaires la somme de 140 000 €.

La SAS FONTANIE fait valoir que M. A… a contesté une réorganisation décidée avant sa désignation comme délégué syndical puis s’est volontairement placé en marge de l’entreprise et en situation d’isolement. Elle conteste tout acte discriminatoire et attribue l’absence d’évolution de carrière de M. A… à son attitude de blocage. Elle demande la confirmation du jugement sur le rejet des demandes de dommages- intérêts et la réformation sur la somme allouée au titre de propos tenus pendant une réunion en soutenant que ceux- ci sont atteints par la prescription prévue par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881. Elle demande 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par note en délibéré du 4 juin 2008 qu’il a été autorisé à déposer, M. A… a transmis un jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 20 mai 2008 qui a prononcé l’annulation de la décision du ministre de l’emploi autorisant sa mise à la retraite d’office en retenant que cette mesure doit être regardée comme n’étant pas sans rapport avec son mandat syndical.

Motifs

L’article L. 412-2 du code du travail, devenu l’article L. 2141-5, dispose : « Il est interdit à tout employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment l’embauchage, la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, l’avancement, la rémunération et l’octroi d’avantages sociaux, les mesures de discipline et de congédiement (…). Toute mesure prise par l’employeur contrairement aux dispositions des alinéas précédents est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts ».

Le régime de preuve est fixée à l’article L. 122-45 alinéa 4 du code du travail, devenu l’article L. 1134-1, qui énonce que le salarié concerné « présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe et ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ».

En l’espèce, M. A… fonde sur son action sur l’existence de pratiques discriminatoires trouvant leur origine dans son mandat syndical. Les faits de harcèlement moral dont il fait état s’inscrivent dans le comportement discriminatoire qu’il impute à son employeur et donnent lieu d’ailleurs de sa part à une demande de dommages-intérêts unique, en plus de la demande qu’il présente au titre d’un rattrapage de salaire.

Au regard des règles de preuve rappelées ci-dessus, il y a donc lieu de rechercher si M. A… présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination et si, pour les faits en question, la SAS FONTANIE apporte la preuve que sa décision est justifiée par des éléments objectifs.

L’existence de mesures discriminatoires
Absence de versement du bonus au titre de l’année 1997

M. A… énonce en premier lieu que son bonus au titre de l’année 1997 prévu par son contrat de travail ne lui a pas été versé bien qu’il ait atteint ses objectifs, ainsi que l’employeur l’a reconnu lors de l’entretien d’évaluation au titre de cet exercice en date du 27 janvier 1998, versé aux débats. Le versement de ce bonus a été demandé par M. A… dans un courrier recommandé en date du 4 janvier 1999.

Aucune explication n’est fournie sur ce point par la SAS FONTANIE.

Exclusion des réunions d’exploitation

Dans un courrier du 18 juin 1998, M. A… a déploré le fait que lors d’une réunion commerciale du lundi 30 mars le directeur de la société ait refusé devant tous les présents de l’inclure dans les réunions d’exploitation. Une attestation de M. Gimeno, chef de groupe au sein de la société énonce que M. Fontanie a fait savoir à M. A… que s’il n’était pas convoqué aux réunions des dotations nouvellement créées « c’était en raison de son mandat syndical ».

Dans une attestation ultérieure, M. Paris, relate les termes d’une réunion du 21 juin 2000 à l’inspection du travail lors de l’enquête sur la demande de mise à la retraite de M. A… et énonce : « A ma grande surprise, sur une question de M. A… , M. Fontanie a reconnu devant nous qu’il avait déclaré en réunion que M. A… , seul de ses collègues ITC, n’assisterait pas à des réunions d’exploitation parce qu’il était délégué syndical. Il a prétendu aussi pour essayer de se rattraper que les réunions de direction ne devaient pas être mélangées avec les réunions syndicales ».

Les propos ainsi tenus n’ont pas été contestés par la SAS FONTANIE. Celle- ci s’est contentée de faire valoir devant la cour que les pièces en question n’avaient pas été retenues par le tribunal administratif dans une première procédure engagée par M. A… .

Accès aux locaux refusé électroniquement

M. A… énonce que le badge lui donnant accès aux locaux a été désactivé en dehors des heures de travail, ce qui ne lui a pas permis l’accès aux locaux de l’entreprise en dépit des obligations liées à son mandat syndical.

Ce fait est confirmé par une note du directeur de l’entreprise en date du 20 juillet 2000 qui indique que, compte tenu des précédentes notes de M. A… qui déplorait le fait d’être privé de missions, un accès pendant les horaires normaux lui suffisait.

Le refus d’un poste de responsable technique maintenance

Le 4 avril 2001, la SAS FONTANIE a rejeté une candidature de M. A… à ce poste, dans un courrier non motivé. M. A… énonce devant la cour, sans être contredit, que ce poste n’a pas été ensuite pourvu.

La SAS FONTANIE fait valoir sur ce point, sans autre justification, que M. A… ne présentait pas les compétences requises.

Absence d’emploi et d’affectation depuis le début de l’année 1999

Dans un courrier du 18 janvier 1999, M. A… s’est plaint d’avoir ni emploi ni affectation. Le 10 juillet 2000, il a énoncé qu’il faisait acte de présence dans l’entreprise alors qu’aucune mission ne lui était confiée depuis deux ans.

Le 26 juillet 2000, le directeur de la SAS FONTANIE lui a rappelé ses refus successifs de l’organisation mise en place, son refus de travailler sous les ordres de M. Dreuil, chef de groupe maintenance désigné, lui a reproché d’être inapte à la fonction commerciale et lui a fait savoir que la direction était toujours disponible pour redéfinir ses missions à partir du moment où il accepterait sans réserve les organisations mises en place et les managers désignés.

M. A… a répliqué le 21 août 2000 que, contrairement aux énonciations de ce courrier, il avait travaillé sous la responsabilité de M. DREUIL jusqu’au moment où le directeur de la société avait arrêté cette expérience au moment où il atteignait les objectifs fixés fin 97, époque où il a alors été placé « au placard ».

La SAS FONTANIE ne peut sérieusement soutenir, comme elle le fait devant la cour, que l’absence d’affectation de M. A… à une tâche déterminée pendant une très longue durée était la seule conséquence de refus opposés par le salarié, alors qu’elle disposait des moyens de formaliser une proposition de modification du contrat de travail ou de le mettre en demeure d’accepter une nouvelle organisation de ses tâches et, en toute hypothèse, de tirer les conséquences d’un refus par M. A… d’accepter une telle modification ou nouvelle organisation.

Les courriers de l’employeur versés aux débats font au contraire apparaître que celui- ci, dans une série d’écrits, prend acte de refus opposés par le salarié et attend « les propositions » de celui- ci. Cette attitude attentiste, qui a eu pour effet de laisser M. A… sans affectation dans l’entreprise depuis 1998 jusqu’à sa mise d’office à la retraite en avril 2006, n’est justifiée par aucun élément objectif.

Contrat d’objectif du 19 février 2004

Par lettre du 9 février 2004, M. A… a été convoqué à un entretien individuel d’évaluation pour le 20 février suivant. Le salarié énonce sans être contredit que cet entretien était le premier depuis six ans.

Dans un courrier du 1er mars 2004, il fait savoir, sans être davantage contredit, que l’entretien en réalité n’a pas eu lieu, mais que la veille de la date prévue pour celui- ci, il a reçu un contrat d’objectif, versé aux débats, lui prescrivant de réaliser sur support informatique le recensement de toutes les industries employant plus de 100 personnes, d’identifier les dirigeants principaux et notamment le responsable technique et de classer ces industries par secteur d’activité, par département et par taille, cette tâche devant être accomplie entre mars et décembre 2004.

M. A… a légitimement protesté contre cette tâche déqualifiée de compilation et de saisie informatique, sans rapport avec son statut de cadre et sa qualification d’ingénieur, en relevant au surplus que pour ce fichier pouvant être évalué entre 7 000 et 9 000 fiches d’environ 25 champs chacune demandant environ 20 minutes par fiche, aucun budget ni moyen en personnel et matériel n’était mis à sa disposition. M. A… a en conséquence fait savoir qu’il n’acceptait pas cette modification et cette dégradation substantielle de son contrat de travail.

Aucune explication n’est fournie sur ce point par la SAS FONTANIE.

Absence de convocation à une réunion extraordinaire du comité d’entreprise

Par lettre du 23 août 2001, M. A… a protesté auprès de la SAS FONTANIE contre le fait que celle- ci ne lui ait pas adressé de convocation pour la réunion exceptionnelle du comité d’entreprise destinée à examiner un accord d’intéressement et de participation, alors que le délégué syndical est de droit représentant syndical au comité d’entreprise ou d’établissement et que, au surplus, les délégués syndicaux sont seuls habilités et à négocier et à signer les accords d’entreprise.

Aucune réponse n’est apportée par la SAS FONTANIE, alors pourtant que le fait dénoncé par M. A… est susceptible de présenter les éléments constitutifs du délit d’entrave.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que M. A… a présenté une série d’éléments de fait laissant présumer l’existence d’une discrimination en raison de son mandat syndical, alors que pour sa part la SAS FONTANIE n’a fait état d’aucun élément objectif de nature à justifier les mesures en question par des raisons étrangères à toute discrimination.

La discrimination pour motif syndical dont M. A… a été victime est donc établie.

L’indemnisation

La demande d’indemnisation sous forme de rappel de salaire présentée en premier lieu par M. A… n’est pas suffisamment justifiée. En effet, celui- ci ne produit qu’un seul élément de comparaison en faisant référence au salaire perçu par un collègue de travail, M. Coletti, dont les fonctions étaient différentes, puisqu’il était responsable des ventes depuis mars 2000 avec un salaire de 4 122 €.

M. A… , qui percevait un salaire de 2 282,88 €, n’est donc pas fondé à prétendre voir revaloriser cette rémunération sur une somme moyenne de 4 500 € par mois depuis 1998, hors avantages en nature.

Il est manifeste cependant que M. A… a subi un préjudice important du fait de la discrimination pour motif syndical dont il a été victime et doit recevoir réparation par application du texte rappelé ci- dessus. Au vu des éléments versés aux débats, la cour dispose des éléments d’appréciation suffisants pour fixer à 60 000 € le montant de cette indemnisation.

Il sera fait droit à la demande de M. A… présentée au titre de ses frais de défense en première instance et en appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement.

Dit et juge que M. A… a été victime d’une discrimination en raison de ses activités syndicales.

Condamne la SAS FONTANIE à payer à M. A… la somme de 60 000 € à titre de dommages- intérêts.

Condamne la SAS FONTANIE à payer à M. A… la somme de 1 500 € au titre de ses frais de défense sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Laisse les dépens de première instance et d’appels à la charge de la SAS FONTANIE

Le présent arrêt a été signé par M. P. de CHARETTE, président et par Mme D. FOLTYN- NIDECKER, greffier.

Résumé

DROIT DU TRAVAIL 
Droits syndicaux – Discriminaton – Élements laissant supposer une quelconque discrimination – Existence.

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